La décentralisation confisquée

jeudi 1er mars 2007, par Le Bureau

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Véritablement instaurée en mars 1982 par les lois Deferre, la décentralisation semblait, malgré quelques critiques et appréhensions, confortablement installée dans le paysage politico-administratif français. 25 ans après, l’image de la décentralisation, aménagement nécessaire d’un État unitaire et centralisé comme le nôtre, se trouve ternie par la politique du gouvernement de droite qui substitue à une exigence de solidarité et de proximité une politique de désengagement systématique de l’État.

Un divorce consommé

Le divorce est désormais con-sommé entre ce dernier et les collectivités locales, qui se doivent d’assumer des charges et des responsabilités croissantes, alors que dans le même temps la politique ultra-libérale mise en œuvre par la droite remet en cause la libre administration fiscale et financière des différentes collectivités locales et établissements publics de coopération intercommunale, l’intercommunalité ayant pris une place importante et incontournable dans l’organisation administrative et politique locale.

Des principes simples…

À l’origine, ce sont essentiellement les deux lois décentralisatrices du 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983 qui ont établi de nouveaux partages de compétence. Les transferts de compétences étaient inspirés par trois principes :

1°/ Les transferts en bloc

D’une part, les compétences de l’État ont été « dans la mesure du possible » transférées « en bloc », chaque collectivité disposant d’une plénitude d’attribution dans les matières transférées.

  • ainsi, la Région se voit transférés le développement économique, social et culturel, les actions de formation professionnelle et d’apprentissage, les lycées, la planification. La Région intervient également en matière d’aménagement du territoire - politique ferroviaire et grands équipements structurants - et c’est avec elle que l’État par l’intermédiaire du Préfet de Région négocie et signe les Contrats de plan ;
  • le département a désormais la charge de l’action sanitaire et sociale, du logement, de l’équipement rural, des collèges et des transports scolaires en plus de ses compétences traditionnelles d’aide aux communes ;
  • la commune, quant à elle, reçoit la charge des écoles maternelles et primaires et bénéficie d’un large transfert de compétences en matière d’ur-banisme : élaboration et approbation des plans locaux d’urbanisme (P.L.U.), délivrance au nom de la commune, et non plus de l’État, des autorisations de construire, mise en œuvre et suivi des opérations d’aménagement urbain (loi 18 juillet 1985).

2°/ La tradition unitaire

D’autre part, afin de respecter la tradition unitaire et d’éviter de remplacer la tutelle de l’État par celle de collectivités territoriales intermédiaires, aucune hiérarchie n’a été établie entre les collectivités, chacune, Région, Département, Commune, ayant des attributions particulières qu’il leur appartient de mettre en œuvre dans le respect de la loi.

3°/ le transfert de ressources

Enfin, les transferts de compétence devaient été accompagnés d’un transfert concomitant de ressources propres à assurer « la compensation intégrale » des charges qui en résultent, et de la mise à la disposition des services (transferts de personnels) et biens (meubles et im-meubles) nécessaires à l’exercice des nouvelles tâches.

Une pratique délicate

Les principes initiaux d’attributions des compétences étaient simples, même si leur application fut difficile ; Tout d’abord, l’importance des attributions nouvelles a engendré, bien entendu, un surcroît de responsabilité dont l’appréciation fut souvent délicate, compte tenu de l’enchevêtrement fréquent des compétences. Si, en règle générale, les attributions de chaque collectivité sont exclusives, des compétences concurrentes existent. Ainsi, la notion de développement économique dont la compétence est attribuée à la Région concerne en fait toutes les collectivités : on voit mal comment, en Auvergne, la Région pourrait se désintéresser de l’agriculture ou de l’amélioration du réseau routier, compétences départementales, si elle veut dynamiser économiquement les quatre départements qui la composent. De même, on voit mal comment et la région Auvergne, et le département du Puy-de-Dôme, et Clermont-Communauté pourraient ne pas s’intéresser à l’université, bien que l’enseignement supérieur reste de la compétence de l’État ; il y va de l’image de l’Auvergne, de sa recherche, de son développement auquel chacune des collectivités participe.

La principale pierre d’achoppement fut à l’origine les moyens apportés aux collectivités locales par l’État pour exercer les compétences que celui-ci leur transférait, en un mot les charges de décentralisation. Les exemples sont nombreux qui démontrent que la compensation financière des transferts ne peut jamais être intégrale car, lorsque des collectivités locales exercent des compétences qui appartenaient antérieurement à l’État, elles ne les exercent pas de la même façon que l’État, ni dans les mêmes conditions et ni avec les mêmes objectifs. Une collectivité locale exerce ses compétences dans un souci de solidarité, de satisfaction des besoins de proximité, d’équilibre entre des territoires qui peuvent être disparates au niveau d’un département ou d’une région.

Ainsi, lorsque les lycées et les collèges ont été transférés, dans les années 1984-1985, respectivement à la région et au département, ces deux collectivités ont dû dans un premier temps réaliser un audit complet de l’immobilier transféré. La Région Auvergne et le département du Puy-de-Dôme ont ensuite, en quelques années, modernisé (suppression des grands dortoirs d’internat, informatisation, équipement moderne de restauration, etc.), reconditionné les établissements souvent vétustes et peu entretenus, construit les lycées et collèges nécessaires selon une architecture adaptée aux conditions climatiques et aux exigences d’une éducation moderne.
Les deux collectivités se sont également attachées à offrir aux collégiens et aux lycéens un environnement de qualité pour une véritable égalité des chances (à titre d’exemple, l’engagement de la région dans la voie de la gratuité des manuels scolaires, le choix du département de réduire la « fracture numérique »). La région et le département ont consenti de lourds investissements pour remettre en état et entretenir les bâtiments, mais aussi faciliter le fonctionnement des établissements. Il leur a fallu, dans les deux cas, dégager des moyens financiers propres et, en toute hypothèse, aller au delà des moyens transférés par l’État qui leur a remis, à travers des dotations spéciales, les moyens financiers qu’il aurait consacrés aux lycées et collèges s’il avait conservé cette compétence.

Cet exemple des lycées et collèges vaut pour l’ensemble des compétences transférées et il faut rappeler que, parallèlement, dans cette même période les collectivités locales ont dû agir pour combattre les effets trop négatifs d’une politique généralisée de l’État, qui sous couvert de sa modernisation, a réduit fortement le service public sous toutes ses formes. Or, pendant que disparaissaient bureaux de postes, perception, écoles etc. en milieu rural notamment, dans notre région, le Conseil régional et le Conseil général du Puy-de-Dôme mettaient au point ou finançaient des programmes de développement local (contrat régionaux de pays, bourgs-centres, contrats de développement, programmes d’habitat social, etc.) pour enrayer le phénomène de désertification de certains territoires qu’accentuait la politique nationale.

Une réforme ambiguë

C’est dans ce contexte de concurrence néfaste, alors que la situation aurait exigé la complémentarité, que fut conduite la réflexion sur une réforme de la décentralisation, ayant pour objectif, selon ses auteurs, de « donner un second souffle à la décentralisation ».

Cette réflexion a été concrétisée par une réforme constitutionnelle insérée dans la loi du 28 mars 2003.

Cette réforme apporte quelques bouleversements dans les textes régissant la décentralisation, renforce une accentuation sensible de la tendance décentralisatrice qui semble marquer la France depuis une vingtaine d’années. Elle met en avant quelques principes et grandes orientations dont seule la pratique permettra de mesurer concrètement l’impact :

  • l’affirmation du principe de la décentralisation et sa coexistence avec ceux de l’unicité et de l’indivisibilité de la République
  • la reconnaissance aux collectivités territoriales d’un pouvoir réglementaire et la possibilité de déroger à titre expérimental au système de compétences ; c’est l’expérimentation, à laquelle les collectivités ont été peu sensibles actuellement, si ce n’est les régions pour prendre en charge directement la gestion des fonds européens gérés anté rieurement par les Préfectures.
  • l’affirmation du principe de subsidiarité, la possibilité de faire émerger des collectivités chef de file entraînant tous deux une redistribution des compétences ;
  • un nouvel élan donné à la démocratie participative qui permet la reconnaissance du référendum local décisionnel ;
  • la reconnaissance de l’autonomie financière des collectivités territoriales fondée sur la prédominance des ressources propres qui devra être conciliée avec le principe d’une péréquation favorisant l’égalité entre elles ;

Les conséquences désastreuses de l’acte II de la décentralisation

À la suite de la révision constitutionnelle de 2003, le Gouvernement Raffarin a annoncé son intention de procéder à de nouveaux transferts de compétence. Des expérimentations sont en cours, notamment en ce qui concerne les interventions économiques et cette concurrence risque de faire naître de nouvelles formes de tutelle.

La loi du 28 mars 2003 a fait de la région la collectivité « chef de file » en matière de développement économique et de formation professionnelle et d’apprentissage.

Le Département est devenu le chef de file en matière sociale (aide aux personnes âgées, revenu minimum d’activité) ; La loi lui a également transféré la gestion des routes nationales et celle du service départemental d’incendie et de secours dont il sera à partir de 2008, le seul financeur.

Cette politique a des conséquences importantes pour la région Auvergne

Comme le constate son Président, la situation financière va être difficile.

L’héritage est certes lourd - on pense en particulier à Vulcania, qu’il faut continuer à faire fonctionner sans l’assurance d’un véritable renouveau économique -, mais ce sont les transferts de charge non compensés financièrement qui grèvent cette situation :

  • transfert de 1400 personnels non enseignants des lycées (ce qui multiplie par 7 les effectifs du personnel régional, à l’origine un structure administrative légère)
  • transfert de l’aéroport d’Aulnat
  • transfert des écoles de formation de travailleurs sociaux et personnels soignants.

La région a cependant fait le choix de poursuivre son action pour les lycées, la formation professionnelle et l’apprentissage, pour son action en faveur du développement économique, pour sa compétence en matière de culture et d’équipements sportifs.

Cette politique a des conséquences importantes pour le Puy-de-Dôme

Pour le département du Puy-de-Dôme, le domaine social et l’insertion dans toutes leurs dimensions (Plan départemental d’insertion, aide aux personnes âgées, aide sociale à l’enfance, prestation handicap, etc.) représentent plus de 55 % du budget de fonctionnement du Conseil général, lequel, pour nombre de programmes, a initié des politiques qui vont au delà de ses compétences et qui tiennent compte de la dégradation sociale nationale (explosion du nombre des bénéficiaires du RMI).

Le département poursuit sa politique envers la jeunesse et la modernisation du système éducatif. Sont transférés 600 agents non enseignants de l’Éducation Nationale.

En matière d’aménagement du territoire, le département subit le désengagement de l’État : 220 km de routes transférés et 620 agents de la Direction départementale de l’Équipement qui rejoindront les services du Conseil général, les responsables chiffrant à 900 000 € la charge du transfert non compensée par l’État. Le-Puy-de-Dôme a choisi également de participer à une large politique de redynamisation du logement social.

On notera que les transferts de personnels (plus de 1200 agents) ne sont pas entièrement compensés financièrement et que rapidement, la gestion des carrières et la politique sociale du personnel auront un poids important sur le budget du Conseil général et cela sans contrepartie de l’État.

La région et le département consacrent des moyens importants à des actions qui leurs sont propres et qui compensent dans un large mesure le désengagement de l’État ; elles mettent au point des budgets en constante croissance pour l’exercice normal de leurs compétences ; tout cela a, bien entendu, un impact négatif sur leur action, en réduisant leurs possibilités sur l’aide qu’elles apportent aux autres collectivités, communes et intercommunalité notamment : la région et le département, qui a encouragé l’intercommunalité et reste le principal pourvoyeur de l’aide aux communes et au soutien du développement rural, doivent aujourd’hui puiser encore davantage sur leur moyens pour subventionner des projets locaux ; de même, plusieurs lois sont récemment intervenues pour décentraliser le RMI, les contrats aidés et le Fonds Solidarité Logement ce qui amène les collectivités à financer toujours plus pour maintenir un haut niveau de prestations. Et de fait, des politiques locales fort intéressante pour certaines collectivités, dont la politique d’amélioration de l’habitat qui permettait aux communes d’envisager la restructuration du cadre de vie et de remodeler des quartiers, se trouvent amputées de moyens financiers.

À tout cela, est venu s’ajouter une polémique sur l’utilisation par les régions de la possibilité qu’elles ont désormais de prélever une partie infime de la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers. Toutes les régions ont utilisé cette possibilité et le gouvernement, relayé par les oppositions de droite dans 21 régions, montre du doigt leurs dirigeants les accusant d’être à l’origine d’une hausse des prix du carburant. Le débat sur la fiscalité locale n’est pas seulement instrumental, c’est un fait social et politique. L’autonomie fiscale est un aspect du principe de libre administration des collectivités territoriales. Les transferts de compétence ne peuvent se faire sans compensation financière suffisante de l’État et sans une réforme en profondeur de la fiscalité locale, principes consacrés par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

Or, en transférant des compétences nouvelles sans les moyens budgétaires équivalents, le gouvernement se comporte en organisateur d’une véritable casse territoriale, remettant en cause le pacte social ; il est à l’origine d’une rupture lourde de conséquences, aussi bien en matière de développement local, d’équilibre des territoires que d’insertion sociale et professionnelle des plus démunis.

En passant d’un système de décentralisation contractuelle entre l’État et les collectivités à un mode de désengagement de l’État sans les ressources financières permanentes pour y faire face, le gouvernement a pris le risque de mener la France dans une impasse. Dans un contexte de dérégulation systématique, d’affaiblissement de l’encadrement collectif et du politique, de remise en cause des partenaires sociaux et des règles de la concertation entre l’État et les élus locaux, les majorités locales doivent tenir bon et affirmer quant à elles leurs priorités en faisant clairement :

  • le choix de la solidarité, appuyée par des dispositifs de soutien à l’emploi, de création et de développement d’entreprises, de formation des jeunes, de dynamisation du logement social, de l’amélioration du cadre de vie et de la protection de l’environnement, de maintien du lien social,
  • le choix d’une société laïque, garante de nos valeurs démocratiques et républicaines, offrant à chaque citoyen un espace respectueux de ses droits fondamentaux
  • Il est également certain que le choix qui sera fait à l’occasion des prochaines échéances électorales sera lourd de conséquences pour les collectivités locales et le devenir de la décentralisation que l’État UMP a confisqué à nos concitoyens.