Loi Travail : un débat animé et instructif

vendredi 17 juin 2016, par Le Bureau

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Lundi 6 juin à 20 heures 30 à la Maison des Beaumontois, notre association IDÉES Pour Beaumont avait organisé une soirée débat autour de la loi travail dite loi El Khomri avec la participation d’une économiste, Ariane Tichit, Maître de Conférences à l’Université d’Auvergne et avec l’aide de Jean-Pierre Sérézat pour la sonorisation de la salle. Nous les remercions tout particulièrement.
Nous vous présentons ici une synthèse de la soirée.

Le découpage de la soirée

Nicolas Dumoulin, Président d’IDÉES Pour Beaumont a introduit la soirée. Il a expliqué son déroulement en trois temps :

  1. Projection d’extrait de film documentaire autour du travail, avec en particulier un entretien avec le philosophe Bernard Stiegler autour de la notion du travail. Ensuite, un extrait d’une interview d’Alexandre Gérard, dirigeant d’une entreprise de service qui explique les différences entre une entreprise classique et une entreprise libérée. Puis, un reportage autour de la flexisécurité à la danoise et un reportage sur l’anthropologue David Graeber sur la notion de lutte des classes. Enfin, un entretien d’un patron de PME, Anthony Gratacos sur l’importance d’avoir un code du travail identique pour toutes les entreprises d’un même secteur.
  2. Ensuite, un travail par atelier sur des points précis de la loi El Khomri comme les principes généraux contenus dans l’Article 1, le temps de travail et la rémunération des heures supplémentaires dans l’Article 2 ainsi que le Compte Personnel d’Activité institué dans l’Article 21.
  3. Enfin, un débat a été entamé et animé par l’économiste Ariane Tichit, Maître de Conférences à l’Université d’Auvergne.

Le texte de loi

Vous pouvez télécharger le document présentant l’intégralité du texte de loi au format PDF en bas de page [1]. Ce document est en trois parties et fait au total plus de 600 pages. La première partie présente les motivations qui ont conduit à élaborer ce texte de loi. La deuxième partie est le texte de loi proprement dit. Enfin, la dernière partie concerne l’étude d’impact des nouveautés introduites dans ce texte.

Pour la très grande majorité de la cinquantaine de participants, la photocopie d’un extrait de texte de loi fut une première. Ils ont pu ainsi se rendre compte de la complexité d’un texte de loi ainsi que la difficile compréhension d’un texte de loi officiel pour un citoyen ordinaire.

Nous vous proposons aussi un certain nombre d’articles de presse ou de spécialistes du code du travail pour accompagner la discussion [2] [3] [4].

L’article 1 et le préambule

Le code du travail ne comporte actuellement aucun préambule. Dans la dernière mouture du projet de loi (celle adoptée par la procédure du 49-3 à l’Assemblée Nationale), ce préambule porte sur les soixante-et-un « principes essentiels » du droit du travail retenus par la commission Badinter (le rapport est disponible en bas de page [5]) et que l’on peut également retrouver dans l’ouvrage co-écrit par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen [6] ont été supprimés en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, dont celui, controversé, sur les libertés religieuses au travail. Il prévoyait que « la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses » ne pouvait être restreinte que « par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Cette mesure avait été vivement critiquée par la droite et l’extrême droite, qui y voyaient un risque d’intrusion du communautarisme dans l’entreprise.

Le passage en force par le 49-3 du gouvernement a annulé la suppression effectuée par la commission des affaires sociales. Ainsi, l’article 1 est revenu à son contenu initial. Ainsi, dans sa forme actuelle, le préambule rappelle notamment que « le principe d’égalité s’applique dans l’entreprise », notamment entre hommes et femmes, que « les discriminations sont interdites », que le salarié a « la liberté de manifester ses convictions, y compris religieuses », que tout licenciement doit être « justifié par un motif réel et sérieux », que « le repos hebdomadaire est donné le dimanche sauf dérogation » ou encore que « le secret de la vie privée est respecté et les données personnelles protégées ».

Les participants à l’atelier ont été surpris de constater que ces principes, qui devraient pourtant faire autorité peuvent être adaptés et modifiés par la loi ou la négociation collective.

Ainsi, le huitième principe affirme « Il est interdit d’employer un mineur de moins de seize ans, sauf exceptions prévues par la loi ». Cependant, le code du travail actuel dans une partie non modifiée, permet l’emploi de mineurs à partir de 14 ans sous le statut d’apprenti.

Le débat a ensuite montré que ces principes pouvaient être entendus très différemment selon les positionnements politiques et économiques de chacun. D’autant plus que le premier alinéa de ce même article annonce « la création d’une commission d’experts et de praticiens des relations sociales pour proposer une refondation de la partie législative du droit du travail  ». Donc, ce code va sans doute encore profondément évoluer !

L’article 2 sur le temps de travail et la rémunération des heures supplémentaire et la négociation en entreprise

Temps de travail quotidien

Le code du travail permet déjà un passage à douze heures de travail quotidien par un accord collectif ou bien de manière temporaire, en cas de « surcroît d’activité » (délai de travaux, travail saisonnier...). Cette dérogation se fait après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel.

Dans le projet de loi, la durée quotidienne de travail effectif ne peut excéder dix heures, sauf en cas d’accord d’entreprise ou de branche et dans le cas « d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ». Le maximum est alors fixé à douze heures quotidiennes. En l’absence d’accord, une dérogation peut être accordée par « l’autorité administrative ».

Malheureusement, cette « autorité administrative » n’est pas définie !

Temps de travail hebdomadaire

Le code du travail en vigueur permet déjà un passage à soixante heures de travail hebdomadaire maximum par dérogation en cas de « circonstances exceptionnelles ». La durée hebdomadaire ne peut actuellement excéder quarante-quatre heures sur une période de douze semaines.

Dans le projet de loi, la durée hebdomadaire de travail normale est de trente-cinq heures, le maximum étant fixé à quarante-huit heures sur une même semaine. Elle peut passer à soixante heures maximum par dérogation, selon des conditions « déterminées par décret en Conseil d’État ». Contrairement à ce que prévoyait la première version du texte, le projet de loi maintient le maximum à quarante-quatre heures en moyenne calculé sur une période de douze semaines. En cas d’accord d’entreprise ou de branche (ou de dérogations temporaires pour certains secteurs, à titre exceptionnel), il est possible de la faire passer à quarante-six heures en moyenne, toujours sur douze semaines.

Les heures supplémentaires

Dans le code du travail aujourd’hui, la majoration actuelle des heures supplémentaires est déjà de 25 % pour les huit premières heures, 50 % ensuite. De même, il existe aussi un plancher de 10 % en cas d’accord d’entreprise ou de branche. Les heures supplémentaires sont décomptées à la semaine, un an maximum.


Dans le projet de loi, les heures supplémentaires au-delà des 35 heures ouvrent droit à « une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent ». Cette majoration est par défaut de 25 % du salaire pour les huit premières heures, 50 % ensuite. Un accord d’entreprise ou, « à défaut », de branche, peut revoir cette majoration, avec un plancher de 10 % minimum. Par ailleurs, les heures supplémentaires peuvent être décomptées (payées ou posées en récupérations) sur une période de trois ans maximum, uniquement si un accord de branche l’autorise (alors qu’un seul accord d’entreprise pouvait suffire dans la première version du texte. En cas de « décision unilatérale » de l’employeur, cette période de référence est de neuf semaines (contre seize semaines prévues dans la première version du texte).

La principale remarque des participants concerne le temps à légiférer sur les heures supplémentaires sans aborder la question du partage de temps de travail. Les 35 heures n’ont pas été assez défendues, en particulier par le Parti Socialiste.

Accord d’entreprise vs accord de branche : l’inversion des normes

On n’a vu plus haut que l’accord d’entreprise pouvait être moins favorable à l’employé que l’accord de branche pour le temps de travail et pour la rémunération des heures supplémentaires.

En outre, la validation d’un accord d’entreprise est modifiée, ainsi que le référendum d’entreprise.

Actuellement, pour qu’un accord soit validé, il doit recueillir les signatures de syndicats représentant au moins 30 % des suffrages exprimés aux dernières élections.


Dans le projet de loi, pour qu’un accord d’entreprise soit validé, il doit être signé par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés (en prenant comme référence les suffrages exprimés lors du premier tour des élections syndicales). Si ce seuil n’est pas atteint, une ou des organisation(s) syndicale(s) représentant entre 30 et 50 % des salariés peuvent demander un référendum interne dans un délai d’un mois.

C’est le point le plus important de la loi ! Il conditionne le reste. Étant donné que de nombreux salariés ont déjà du mal à négocier certains aménagements de leur travail pour conserver leur vie personnelle, comment penser que les négociations d’entreprises pourront être plus avantageuses que les accords de branches ? Et sans compter les distorsions de concurrence que cela peut engendrer entre des entreprises d’un même secteur et donc, un alignement des normes sociales par le bas (Cf. l’interview d’Anthony Gratacos).

L’article 21 sur le Compte Personnel d’Activité

Dans le code du travail actuellement en vigueur, les droits à la formation et le compte de prévention de la pénibilité coexistent séparément.

Dans le projet de loi, le texte prévoit le rassemblement des comptes formation et pénibilité. Il ne prévoit pas, pour l’instant, d’y inclure les droits au chômage ou le compte épargne­temps, comme cela avait été un temps envisagé. La réforme liste des activités bénévoles qui ouvrent le droit à vingt heures supplémentaires, comme le service civique ou le bénévolat dans certaines associations.

Ce texte ne change pas fondamentalement les choses en fusionnant dans un compte personnel d’activité les anciens comptes formation et pénibilité. La seule avancée identifiée est la préservation des droits acquis, même en changeant de statut (passage d’un poste du public au privé et inversement) et qu’il concerne réellement toutes les personnes, quel que soit leur statut. En conclusion, ce texte est donc très loin de la sécurité mise en place au Danemark par exemple (Cf. vidéo).

En conclusion, un débat initié et animé par Ariane Tichit

La flexisécurité (comme illustrée dans le documentaire au Danemark) est avantageuse dans le contexte capitaliste, car il sécurise les humains face à la flexibilité pour les employeurs. En effet, ces derniers pourraient être tentés (et c’est malheureusement trop souvent le cas) de ne considérer que les emplois créés ou supprimés, alors que c’est bien des humains (et leur vie) qui subissent la flexibilité. La loi El Khomri n’apporte rien pour la sécurité pendant les périodes de chômage. Cependant, au Danemark, le modèle commence à être revu car il a un coût en terme de charges sociales et que, malheureusement, les entreprises deviennent moins compétitives, induisant un nivellement par le bas.

Le capitalisme considère le travail comme un coût. On est plutôt tenté de dire que les capitalistes volent aux travailleurs la valeur ajoutée. Il est souligné qu’une solution est de rompre la propriété des outils de production, comme le montre le succès des SCOP.

Une discussion a ensuite émergé à propos de l’opposition entre résister / lutter et agir / construire, pour finalement conclure que l’un n’excluait pas l’autre, et que les deux étaient nécessaires pour trouver un système plus juste pour tous, et en tout cas, une proposition de réforme du code du travail plus équilibrée pour les travailleurs, quel que soit leur statut.