T comme Tout doit changer

lundi 27 mai 2019, par Hervé Mantelet

EnvironnementÉlectionÉlections Européennes

Attention, danger

Les urnes ont parlé. La liste Europe Écologie est la troisième force de ce scrutin. Une responsabilité immense pèse désormais sur nos épaules. Nous devons comprendre ce qui se joue, mesurer l’ampleur de la tâche, et proposer un chemin. À chaud, qu’il me soit permis de livrer ici, quelques éléments de réflexion.

La crise démocratique traversée par notre pays et notre continent continue à empirer. La montée du national-populisme est confirmée, comme le montre le score du Rassemblement national, auquel il faut ajouter les scores de Debout la France pour comprendre le poids considérable du bloc social-identitaire. Comme toujours, la tentation du pire : le repli identitaire nationaliste et xénophobe et le rejet de l’autre prospèrent sur le terreau des crises. L’extrême-droite et les fascismes ne sont jamais les remèdes à ces crises, ils en sont les symptômes. Plus que jamais, le péril représenté par l’extrême-droite politique et culturelle met nos sociétés en danger. La droite classique, représentée par son aile la plus conservatrice, a choisi d’emboîter le pas au Rassemblement national pendant toute la campagne, rendant possible demain l’idée d’une coalition des droites sous domination de la partie extrême d’une telle alliance.

La majorité Macroniste n’est pas une solution mais une partie du problème

La République en Marche a échoué à endiguer la montée de la colère qui s’exprime par le vote RN. Emmanuel Macron prétendait être un rempart. Nous savons désormais qu’il constitue un tremplin. Cette élection représente pour lui un triple échec. Un échec personnel, puisqu’il avait choisi de personnaliser à outrance cette échéance. Un échec stratégique puisque ni sa volonté d’étouffer le débat européen, ni sa tentative de hold-up sur l’écologie n’auront suffi à lui donner le quitus qu’il demandait. Une défaite politique enfin, la plus grave, puis qu’il est devancé par le RN et sort très affaibli du scrutin.

Un paysage bouleversé par l’émergence de la question écologique

Le clivage qui structure ce paysage politique occidental depuis plus d’un siècle, entre une droite porteuse d’un capitalisme fordiste et la gauche d’inspiration marxiste et productiviste, est rendu obsolète par l’irruption de la question écologique.

La question n’est plus de penser la répartition des richesses engendrées par la révolution industrielle. La question politique essentielle, existentielle, des temps qui viennent est, pour l’humanité – notre civilisation humaine – d’apprendre enfin à habiter la Terre sans se détruire et sans la détruire. Plus personne n’ignore que notre modèle dit « de développement » engendre à la fois un dérèglement climatique brutal et l’extinction accélérée de la vie sur la planète. Les chaos sociaux, géopolitiques et démocratiques que provoque cet effondrement ont commencé. Nous en sommes à la fois les acteurs, les spectateurs et les victimes.

Des enjeux sociaux en redéfinition

Les plus vulnérables sont les plus pauvres. Les premiers responsables sont les plus riches. Dès lors l’enjeu écologique est indissociable de la question de la justice sociale. Le mouvement des gilets jaunes est né de la fracture écologique, clone environnemental des fractures sociales et territoriales.

La recherche entêtée d’une croissance aveugle, censée nous apporter le retour d’une prospérité perdue, aggrave encore la situation. Les sacrifices consentis à cette croyance fragilisent encore les plus fragiles tout en favorisant l’accaparement des ressources et la prédation sur la nature pour le profit des puissants. L’apparition et le développement sans entrave du capitalisme financier constituent un accélérateur de la destruction environnementale. L’économie financiarisée a définitivement quitté la réalité terrestre. Mais son règne a des conséquences sur l’environnement. Ce sont ces sociétés off-shore, paradis fiscaux et fonds de pension ou souverains qui spéculent sur la destruction de la nature.

L’impasse du populisme de gauche

Face au chaos qui s’avance, les offres politiques traditionnelles sont inopérantes. Aux abois, une partie de la vieille gauche tente de se réinventer dans une synthèse improbable entre centralisation jacobine et prise de conscience écologique par un récit populiste qui simplifie à outrance les conflictualités et les oppositions qui existent dans une société en fin de cycle. L’objectif est la recherche d’une majorité issue d’une coalition de rejets qui, par on ne sait quel miracle, se transformerait en une coalition de projet émancipateur.

Pourtant, chacun.e sait qu’il n’y a pas de raccourci en politique. Pour nous, il ne peut y avoir de populisme heureux. Mobiliser le peuple peut se comprendre. Mais exciter la colère des foules est condamnable. La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine. La stratégie populiste de conquête du pouvoir par la brutalisation du débat et la caricature des oppositions favorise toujours le coté obscur de la force aussi sûrement que le fleuve va à la mer.

« Le cercle de la raison » déligitimé

Longtemps, sociaux-démocrates et droite parlementaire se disputaient l’horizon majoritaire. Ce cycle est révolu. La gauche et la droite de gouvernement tentent de survivre à la fin du cycle économique et politique issu de la révolution industrielle en convergeant dans une sorte de synthèse libérale. Ce nouveau « cercle de la raison », incarné en France par Emmanuel Macron, n’a d’autre option pour survivre que de se choisir ses adversaires et d’apparaître face à eux comme un moindre mal. Ce procédé tactique dans le champ politique a pour but de se maintenir au pouvoir malgré une base sociale numériquement faible. Dès lors qu’on obstrue le paysage politique et que l’on empêche les mouvements sociaux de s’exprimer, les relations sociales deviennent plus violentes. Elles le sont d’autant plus que les corps intermédiaires sont méprisés. Le pouvoir en place ainsi affaibli se condamne à être fort avec les faibles et faible avec les forts, et se réduit à être la main invisible du marché dans le gant de fer de la répression. Le cercle de la raison est en fait le cercle du consentement à l’ordre inégal du monde.

De la nécessité d’une nouvelle force motrice

Il appartient aux femmes et aux hommes de bonne volonté, déterminé·e·s, à construire une alternative aux « droites », qu’elles soient libérale, conservatrice ou fasciste, d’inventer un nouvel imaginaire politique, mais aussi à des gauches devenues obsolètes à force d’avoir refusé de comprendre les nouveaux enjeux.

La gauche d’inspiration marxiste telle qu’elle s’est épanouie depuis le début du XIXe siècle est « incomplète » théoriquement et idéologiquement pour répondre aux ravages causés par le modèle de développement. En ayant omis la question écologique, la pensée marxiste a fait deux concessions décisives au capitalisme : l’acceptation du productivisme et la valorisation de la consommation comme moyen d’émancipation.

Le temps de l’écologie est venu

La critique sociale du capitalisme est fondamentale, mais l’argument écologique dans la critique des conséquences de la révolution industrielle est essentiel. L’enjeu à venir est de revoir radicalement notre relation à la production et à la consommation. C’est en cela que la pensée écologiste n’est non seulement pas supplétive de la gauche hégémonique du siècle et demi qui vient de s’écouler, mais elle l’englobe et la transcende. Cette évolution, ou plutôt les prémices de cette révolution, a été perceptible lors de cette élection européenne. Jamais, lors d’une campagne politique, la question écologique n’a autant été présente et débattue. À nous, désormais de prendre nos responsabilités.

Construire l’alternative

Il n’y aura pas d’alternance sans la construction d’une alternative politique. Celle-ci n’émergera pas par la magie d’un rassemblement de circonstance. Il faut tout revoir. Nous avons une conviction inébranlable : l’écologie politique est le ferment des victoires à venir.

Il faut imposer un nouveau récit, de nouveaux clivages un nouvel imaginaire. Nous savons pour autant que le clivage droite-gauche est ancré dans les consciences de millions de personnes. Nous avons conscience du désir d’unité qui habite les cœurs. À celle et ceux qui se réclament de la gauche, nous voulons dire que l’avenir de ce qui a été appelé gauche c’est l’écologie.

Il est temps pour l’écologie d’assumer le leadership de cette alternative. Notre feuille de route est simple : construire une force et une coalition à vocation majoritaire pour qu’enfin notre pays et l’Europe conduisent une politique environnementale et sociale à la hauteur de la crise que nous traversons.

Nous-mêmes, les écologistes, devons être à la hauteur. Nous ne pouvons plus, nous ne voulons plus être faibles. Les résultats des européennes font de nous les dépositaires de l’espoir. Nous n’avons plus le droit de perdre.

Il nous faut donc dépasser nos frontières actuelles pour co-construire un nouvel outil politique dont l’objectif est de se préparer à la conquête et à l’exercice du pouvoir.

Nous nous adressons donc aux forces constituées, mais aussi directement aux citoyennes et aux citoyens qui depuis des mois se mobilisent pour le climat et la justice sociale. Ensemble nous pouvons tout changer, disions-nous pendant la campagne. C’est le moment de passer à l’acte.

Le système, la politique, nos vies, tout doit changer.

Par David Cormand, Secrétaire National EELV