Nous sommes au bord de la crise de régime
lundi 8 avril 2013, par
PolitiqueINTERVIEW - Durant la campagne présidentielle, Eva Joly prônait une “République exemplaire”. L’ex-candidate écologiste analyse pour Metro l’affaire Cahuzac et ses répercussions. Pour l’ancienne juge d’instruction de l’affaire Elf, François Hollande a fait preuve d’une “naïveté coupable”.
François Hollande a-t-il pris la mesure de l’affaire Cahuzac ?
C’est tout l’enjeu. Il faut vraiment que le président de la République comprenne quelle crise nous traversons. Le danger, c’est que les Français se disent : « Il y a l’élite qui nous gouverne, et les autres ». Pour les citoyens, il est tout simplement insupportable que le ministre du Budget, qui prônait l’austérité, ait lui-même abrité sa fortune à l’étranger. C’est le pire des symboles. Ce n’est pas avec les trois mesures annoncées par François Hollande que le gouvernement va pouvoir régler cette crise. Il faut dresser un véritable cordon sanitaire entre la démocratie et les affaires.
Que proposez-vous ?
Un plan d’urgence contre les affaires et la corruption. Les remèdes sont connus. Chacun voit que quand un juge indépendant se saisit d’un dossier, il avance, comme dans les affaires Bettencourt ou Cahuzac. Mais aujourd’hui, la galerie financière à Paris n’est plus que l’ombre d’elle-même. Nous étions quinze, ils ne sont plus qu’une poignée et n’ont plus de dossier. Il faut renforcer les moyens. Dans ma campagne présidentielle, je préconisais le recrutement de 3 000 inspecteurs dédiés à la traque de la grande fraude fiscale : aucun véritable combat n’a jamais été mené, alors que nous savons qu’au moins 150 000 français ont des comptes à l’étranger. C’est le secret de famille honteux.
Dans l’affaire Cahuzac, est-il possible que les plus hautes autorités de l’Etat n’aient rien su ?
Lorsque je menais mes instructions, je procédais par raisonnement mathématique : quelle est la probabilité que sur l’enregistrement produit par Mediapart, les voix des deux interlocuteurs ressemblent à celle de Cahuzac et d’Hervé Dreyfus, un banquier connu ? François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont fait preuve d’une naïveté coupable. Dès le 4 décembre, ils auraient dû prendre ces renseignements au sérieux et écarter Jérôme Cahuzac du gouvernement.
Les socialistes mettent en avant le respect de la présomption d’innocence...
La présomption d’innocence est un principe essentiel. Mais arrêtons l’hypocrisie. La présomption d’innocence, ça veut dire que seul un tribunal a le droit de vous déclarer coupable, pas que vous ne pouvez pas comprendre ce que vous voyez. Ne pas jeter quelqu’un en pâture au tribunal de l’opinion est une chose. Tolérer le détournement de la présomption d’innocence pour masquer les turpitudes des puissants, c’est autre chose.
Pour Edwy Plenel, le cofondateur de Mediapart, Pierre Moscovici a « instrumentalisé l’administration fiscale pour protéger Jérôme Cahuzac ». Que pensez-vous de ces accusations ?
S’il est avéré que Moscovici a instrumentalisé l’administration avec l’objectif non pas d’aider la justice, mais de sortir un ami d’une mauvaise passe, il ne peut pas rester. Ce qui est très gênant pour lui, c’est l’article du JDD affirmant en première page, sur la base du document des autorités helvétiques transmis à Bercy : « Cahuzac blanchi ». On voit la les dégâts des officines de communication qui poussent au crime.
Pierre Moscovici assure n’avoir jamais communiqué ce document...
Peut-être, c’est ce qu’il faut voir. Je l’espère. Mais les faits sont sur la table. Et c’est très gênant.
La droite réclame un remaniement. C’est nécessaire selon vous ?
Nous sommes au bord de la crise de régime. Le gouvernement doit saisir l’ampleur de la situation et agir en conséquence. Le remaniement, peut être une façon de tirer les conséquences de ce qui s’est passé. Mais ça ne suffira pas : je réclame une autre politique. Quand à la droite, qu’elle ne se croit pas en meilleur état : elle-même a fort à faire avec l’affaire Bettencourt, qui est autrement plus grave que l’affaire Cahuzac. Que la droite se remanie elle même !
L’affaire Cahuzac n’est pas une affaire d’Etat selon vous ?
Elle est une affaire qui mine l’Etat. Cahuzac avait caché ce compte au monde entier. En l’état des connaissances sur cette affaire, la seule chose que l’on peut reprocher au gouvernement, c’est de ne pas avoir été vigilant lorsque Mediapart sort l’article. Mais il faut donner acte à François Hollande du fait qu’il a laissé la justice travailler.
D’autres responsables politiques ont des comptes à l’étranger selon vous ?
Des responsables politiques et économiques, c’est à craindre oui. On combat la fraude fiscale du bout des lèvres. J’ai des idées très précises sur ce qu’il faudrait modifier. Par exemple, il faut savoir qu’un policier ou un procureur ne peut pas engager d’enquête pour fraude fiscale. C’est réservé aux directions départementales des services fiscaux, qui chaque année définissent leur cible. Mais la fraude qui se voit, celle qui roule dans la rue, ne sert pas de point de départ aux enquêtes. Combien y a-t-il d’inspecteurs fiscaux sur la Côte d’Azur ? Depuis quand s’est-on intéressé aux propriétaires des belle villas détenues à travers des sociétés installées dans les paradis fiscaux ? Il faut par ailleurs en finir avec l’opacité.
C’est-à-dire ?
Il existe une boîte noire très politique entre les enquêtes menées par les inspecteurs des impôts et le procureur : la commission des contentieux, qui décide si oui ou non le dossier doit être transmis. Parfois sur deux dossiers de même nature, un seul sort sans que personne ne sache pourquoi. Je demande la suppression de cette commission et que la possibilité de transmettre le dossier au Parquet soit de la responsabilité du directeur départemental des services fiscaux. Il y a un autre scandale en France : la possibilité que les ministres utilisent parfois de faire cadeau de la créance fiscale, c’est-à-dire d’effacer l’ardoise de plusieurs millions d’euros d’artistes connus. C’est ce dont Karl Lagerfeld avait bénéficié sous Strauss-Kahn. Il faut en finir avec tout cela.
Le Monde révèle que le mandataire financier de la campagne présidentielle de François Hollande est actionnaire de deux sociétés offshore aux Caïmans. Est-ce embarrassant pour le chef de l’Etat ?
La porosité entre les milieux d’affaires et le monde politique n’est pas une bonne chose. Mais François Hollande n’est pas responsable de l’activité privée de son mandataire. En revanche, cela indique bien le problème de ces lieux noirs. La moitié du commerce international passe par de telles sociétés.
Quel jugement portez-vous sur les premiers mois du quinquennat de François Hollande ?
Je suis très inquiète par le cap choisi. La politique menée est d’un classicisme qui ne permet pas de faire face à la crise. Dès le début, sur la scène européenne, Hollande a manqué l’occasion de résister à Merkel. Plus grave encore, la lutte promise contre l’emprise de la finance n’a pas été menée. Prenons aussi l’exemple du non-cumul des mandats : je ne comprends pas pourquoi on attend 2017 pour le mettre en place. C’est urgent de le faire pour moraliser notre vie publique et pour restaurer la confiance.
Les Verts doivent-ils rester au gouvernement selon vous ?
En se battant pour réorienter la politique menée, oui. Les ministres écologistes sont entendus dans leurs domaines respectifs. Mais j’aimerais qu’ils le soient aussi lorsqu’ils portent la nécessité d’investir dans l’avenir et dans la reconversion écologique. Pour l’instant ce n’est pas le cas.
On vous disait intéressée par un ministère après le 6 mai. Le seriez-vous aujourd’hui ?
Ce n’est vraiment pas la question ! Ce qui importe, c’est que ce gouvernement engage de toute urgence une politique plus audacieuse.